En janvier, j'ai entamé mon dernier stage en tant qu'étudiante de dernière année en environnement et commerce à l'Université de Waterloo (UW). Je travaille en parallèle à l'organisation de la justice climatique depuis 2019, date à laquelle j'ai commencé mes études de premier cycle. Depuis lors, j'ai travaillé avec diverses organisations, y compris des organisations à but non lucratif dirigées par des jeunes, des partis politiques et des institutions gouvernementales et éducatives. J'ai organisé des marches, participé à des manifestations et animé des ateliers. Je suis également organisatrice régionale pour le Projet de la réalité climatique Canada depuis le printemps 2022. Le travail d'organisation m'a donné de l'énergie et le sentiment d'avoir un but, loin de la corvée de l'école ou du travail.
Mais j'étais encore là, de retour à une routine de bureau de 9 h 17 h. Je travaillais au Bureau du développement durable d’UW en tant qu'assistante chargée de la communication et de la sensibilisation. Je travaillais aux côtés d'une autre étudiante en environnement, Celine, qui a grandi en Afrique du Sud et s'est beaucoup investie dans l'organisation de la justice climatique et de la libération des Noir·e·s. C'était un travail fantastique et j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur leur portefeuille d'engagement, mais je n'arrivais pas à me débarrasser du sentiment tenace que je n'en faisais pas assez. J'ai commencé à ressentir cette vieille envie de retourner travailler sur le terrain.
Un manque d'infrastructure pour l'organisation des campus
Les stagiaires du Bureau du développement durable ont l'habitude d'entreprendre un projet parallèle pendant leur stage. D'autres stagiaires ont lancé des balados ou des équipes vertes dans leur établissement d'enseignement supérieur. Je me souviens d'un jour fatidique de février où Celine et moi étions en train de réfléchir à des projets secondaires à entreprendre. Nous explorions des initiatives liées à l'insécurité alimentaire et aux carrières vertes. Nous nous demandions également s'il fallait s'attaquer au problème de l'éco-anxiété sur le campus. Cependant, toutes nos discussions nous ramenaient au même problème central : il y avait un réel manque d'infrastructure pour soutenir l'activisme sur le campus, ce qui contribuait à un vide important dans la défense des intérêts des étudiant·e·s sur des questions importantes comme la crise climatique. Notre syndicat étudiant était connu pour étouffer activement le travail d'activisme et notre administration préférait une déclaration de relations publiques fleurie à une action concrète. Dans un environnement aussi hostile, auquel s'ajoutent d'autres facteurs tels que le taux de roulement élevé et la pandémie, il était difficile pour les mouvements étudiants de créer et de maintenir une dynamique.
On a souvent l'impression que l'activisme étudiant essaie de faire quelque chose à partir de rien.
On a souvent l'impression que l'activisme étudiant essaie de faire quelque chose à partir de rien. L'absence de financement, de capacité et de soutien institutionnel sont des obstacles courants pour les organisateur·rice·s étudiant·e·s, comme pour la plupart des autres campagnes menées par les communautés. Nous sommes également confrontés à une rotation fréquente du personnel, avec l'obtention de diplômes et l'enchaînement de stages pour les étudiant·e·s. Cela entraîne une perte importante de connaissances et empêche les mouvements de s'appuyer sur les victoires historiques et les leçons tirées de l'expérience.
Celine et moi étions parfaitement conscientes de ces défis. Nous étions toutes deux des organisatrices épuisées par le système, ayant passé des années à travailler pour le syndicat étudiant et l'UW. Nous espérions qu'il y avait encore de l'intérêt pour la justice climatique, et qu'il nous suffisait de lancer un mouvement pour que les gens viennent. Nous avons commencé, lors due semestre d'hiver, par une analyse environnementale. Nous avons fait des recherches sur les quelques poches restantes de défense des droits sur le campus ainsi que sur la longue histoire de l'activisme mené par les étudiants à l'UW. Nous avons commencé à contacter nos interlocuteur·rice·s - des étudiant·e·s, des membres du personnel et des professeur·e·s qui étaient des alliés de la cause. Nous avons lentement commencé à construire notre base de personnes intéressées et capables de nous aider à former une coalition.
Construire l'Écosystème de la justice climatique de l'Université du Waterloo
Nous nous sommes appelés l'Écosystème de la justice climatique de l'Université de Waterloo, ou Écosystème. Nous étions un groupe d'étudiant·e·s uni·e·s sous la bannière de la justice climatique et nous considérions notre rôle comme un écosystème : un système interconnecté, mutualiste et diversifié. Nous avons délibérément ratissé large, en recrutant notamment au sein de la campagne syndicale, du groupe de désinvestissement et des services aux étudiant·e·s. Il était important pour nous d'intégrer l'intersectionnalité dans notre composition afin de refléter l'impératif de construire une solidarité à travers les mouvements de justice climatique, économique et sociale.
Nous avons lancé notre groupe par un pique-nique en juin. Nous avons invité toutes les personnes auxquelles nous pouvions penser et nous nous sommes retrouvé·e·s avec un petit groupe de huit organisateur·rice·s principaux·ales. Immédiatement, le jus créatif a commencé à couler. Nous nous sommes fixé pour objectif d'organiser un rassemblement à la fin du mois de septembre, à l'occasion du quatrième anniversaire de la grande grève pour le climat « Fridays for Future » à Kitchener-Waterloo.
Ensuite, les pièces du casse-tête ont commencé à se mettre en place. Notre première priorité était d'établir notre mission, notre vision, nos valeurs et nos exigences fondamentales. Nous avons décidé d'établir une liste de dix revendications fondamentales qui orienteraient notre groupe. Il s'agit notamment de demandes adressées à la haute direction concernant le climat, l'emploi, le logement, la santé mentale, la souveraineté autochtone, les transports publics, la sécurité alimentaire et les frais de scolarité des étudiant·e·s étranger·ère·s et hors province. Nous avons commencé à rédiger une lettre ouverte détaillant nos demandes et à concevoir d'autres documents sur notre écosystème.
Le 28 juin, un ancien étudiant de l'Université du Waterloo est entré dans une classe d'études de genre et a commencé à attaquer le professeur et les étudiant·e·s avec un couteau. Cette attaque motivée par la haine a provoqué une onde de choc sur tout le campus et a suscité des appels en faveur d'une meilleure protection des étudiant·e·s queers. Celine et moi étions à proximité du bâtiment lorsque nous avons vu une escouade de policiers lourdement armés accourir sur les lieux. Lors d'un forum communautaire, la peur et la colère étaient palpables à l'égard des dirigeant·e·s, qui n'en faisaient pas assez pour protéger les étudiant·e·s marginalisé·e·s et dénoncer la transphobie et l'homophobie. Comme l'ont souligné de nombreux dirigeant·e·s étudiant·e·s, cette attaque n'était pas inattendue et ne s'est pas produite dans une bulle. Il s'agissait de la manifestation violente d'une haine croissante à l'égard de la diversité sexuelle et de genre en ligne, et d'un avertissement que la radicalisation et la violence pouvaient éclater même sur notre campus canadien « progressiste ».
La publication d'un appel à l'action dans le sillage de l'attaque pour rejoindre notre coalition nous a donné un grand coup de pouce en termes de nombre. Beaucoup de mes ami·e·s qui s'intéressaient à la défense des droits, mais qui n'avaient pas d'expérience préalable, ont été incités à se joindre à nous. Nous avons ajouté à notre liste une demande de sécurité transparente, non policière et gérée par la communauté, et nous avons délibérément établi des liens entre la négligence de l'UW sur les questions queer et son retard en matière d'action climatique.
Calendrier d'action
À partir de juillet, tout s'est enchaîné. À ce stade, notre groupe comptait 28 personnes, un mélange d'étudiant·e·s de premier et de deuxième cycle issu·e·s de disciplines et d'expériences variées. Nous avons planifié notre rassemblement pour le 28 septembre, presque quatre ans jour pour jour après la dernière mobilisation climatique à grande échelle dans la région, et un jour avant la commémoration de la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation. Celine et moi avons été très occupées par la fixation et la supervision des délais, l'organisation de réunions, la recherche et la rédaction de la lettre ouverte, la planification de la logistique pour le rassemblement et la programmation d'activités de sensibilisation. Nous avons eu la chance de recevoir deux subventions importantes, qui nous ont permis d'acheter des fournitures et d'offrir des honoraires à nos orateur·rice·s étudiant·e·s.
Le mois de septembre s'est déroulé dans un tourbillon d'articles d'opinion, de courriels, de réunions, de séances d'écriture, de posts Instagram, de présentations en classe et de présentations d'événements. Nous avons tenu un stand d'information lors de différents événements (y compris le pow-wow annuel de l'UW) et avons obtenu 200 signatures et six soutiens de groupe pour notre lettre ouverte. Nous avons parlé à des centaines d'étudiant·e·s dans des classes de première année (pour la plupart). Nous avons augmenté notre nombre d’abonné·e·s sur Instagram et nous avons tendu la main à des partenaires de la communauté et du campus pour qu'ils nous soutiennent. Nous avons passé quelques heures à fabriquer des macarons sur le thème de la justice climatique et à laisser des messages à la craie sur le campus. Deux jours avant le rassemblement, nous avons organisé une construction artistique, où environ 50 personnes se sont arrêtées pour fabriquer des pancartes en carton recyclé. Nous avons obtenu 45 magnifiques pancartes faites à la main avec des slogans tels que « Tout le pouvoir au peuple »! et « Menteur, menteur, colonisateur ». Les préparatifs allaient bon train.
Jeudi 28 septembre 2023. Après une nuit agitée, je me suis réveillée sous un ciel gris et sombre. Quelqu'un a indiqué dans le chat du groupe qu'il y avait 50 % de chances qu'il pleuve cet après-midi-là. J'ai pris un parapluie au cas où. Notre groupe d'organisation s'est réuni dans le quadrilatère des arts, un grand espace ouvert au milieu du campus qui est très fréquenté. Après avoir installé notre haut-parleur et notre micro loués et distribué des gilets de sécurité à nos volontaires, nous avons croisé les doigts pour qu'il y ait beaucoup de monde (et qu'il ne pleuve pas).
En repensant à ces huit derniers mois, je suis stupéfaite et reconnaissante de tout ce que nous avons pu accomplir en partant (pratiquement) de zéro.
Nous avons commencé le rassemblement par une reconnaissance de la terre et du contexte de l'écosystème de la justice climatique. La foule a commencé à grossir, avec des étudiant·e·s, du personnel et des membres de la faculté se rassemblant sur les marches de la cour, tenant leurs pancartes en l'air. J'ai pris la parole avant les orateur·rice·s étudiant·e·s, en commençant par un discours sur la justice climatique et l'importance de la défense des intérêts des étudiant·e·s au niveau local. Les étudiant·e·s ont ensuite parlé de l'effort syndical et de l'accessibilité financière, du bien-être et de la souveraineté des étudiant·e·s autochtones, des problèmes des étudiant·e·s internationaux·ales et du manque de soins de santé mentale. Celine a clôturé l'événement par un discours émouvant sur son expérience en tant qu'organisatrice d'étudiant·e·s Noir·e·s et sur la libération pour tout·e·s.
Au total, nous avons compté 150 personnes dans le public, dont le président de l'association des étudiant·e·s de premier cycle. C'était une participation plus importante que nous ne l'avions prévu et nous étions ravi·e·s. Mieux encore, nous avons évité une pluie battante. Quelques jours plus tard, nous avons reçu une réponse à notre lettre ouverte de la part du bureau du président. Même si ce n'était pas la réponse que nous souhaitions, nous avons été encouragé·e·s par le fait qu'ils ont ressenti une pression telle qu'il·elle·s ont été obligé·e·s de répondre.
Réflexions et succès
En repensant à ces huit derniers mois, je suis stupéfaite et reconnaissante de tout ce que nous avons pu accomplir en partant (pratiquement) de zéro.
Le ÉJC en chiffres :
- 3 mois de travail concentré (et 8 mois en cours...)
- 6 mentions de soutien à notre lettre ouverte de la part de divers groupes
- 10 demandes principales
- 10 réunions du groupe des organisateur·rice·s principaux·ales
- 11 présentations en classe
- 28 membres actifs : étudiant·e·s de premier et deuxième cycles de diverses disciplines et de diverses expériences vécues
- 34 destinataires de la lettre ouverte (président, vice-président·e·s, vice-président·e·s adjoints et directeur·rice·s)
- 45 pancartes fabriquées
- 50 participant·e·s à notre construction artistique
- 52 affiches placées sur le campus
- Plus de 100 macarons fabriqués
- ~150 participant·e·s au rassemblement
- 200 signatures sur la lettre ouverte
- 252 abonné·e·s sur Instagram
- Une aide incommensurable de la part des allié·e·s du campus et de la communauté!
L'été a été épuisant mais très enrichissant. Je n'avais que très peu d'expérience en matière de création de coalitions, et j'ai appris en grande partie par essais et erreurs, avec l'aide gracieuse de mes allié·e·s et les commentaires de mes pairs. J'ai tiré plusieurs leçons précieuses de cette expérience.
Les enseignements tirés
1. Construisez-le et les gens viendront.
Créez un appel à l'action irrésistible dans lequel les gens peuvent se reconnaître. Lorsque nous avons essayé de convaincre les gens de nous rejoindre, nous nous sommes efforcé·e·s de nous rapprocher d'eux·elles. Qu'est-ce qui les intéressait? Quels sont leurs points forts? S'assurer que l'on parle aux gens d'une manière qu'il·elles·s peuvent comprendre et qui les interpelle n'est pas seulement crucial pour le recrutement, mais aussi pour construire un groupe d'organisation diversifié et représentatif.
Nous avons également trouvé des allié·e·s dans des endroits inattendus en investissant du temps et des efforts dans la construction d'une solidarité avec d'autres mouvements militants. Au début de chaque réunion, nous récapitulions les événements de la semaine précédente (par exemple, les réunions des syndicats de locataires d'ACORN, le festival culturel palestinien, les repas collectifs au centre des étudiant·e·s autochtones) et encouragions nos collègues organisateur·rice·s à participer à d'autres événements de solidarité. Grâce à cela, nous avons pu obtenir le soutien de nombreux partenaires universitaires et communautaires, tels que le Waterloo Climate Institute, GroundUp Waterloo Region, le UW Student Solidarity Network et le Laurier Students Public Interest Research Group.
2. Rester à l'écoute de la communauté et lui rendre des comptes.
Nous avons passé beaucoup de temps à discuter et à débattre de notre liste de revendications. Nous savions qu'elles devaient répondre aux préoccupations réelles des étudiant·e·s, tout en éduquant le corps étudiant sur des théories telles que la justice climatique et la solidarité. Nous avons créé un glossaire pour aider l'étudiant·e moyen à comprendre notre terminologie et nous avons mis l'accent sur notre présence dans les médias sociaux pour promouvoir l'éducation à la défense des droits.
En tant que coalition étudiante indépendante et populaire, la liberté d'être radicale et politique était fondamentale. Ceci étant dit, il était de notre responsabilité de nous assurer que ce que nous disions répondait aux attentes du corps étudiant et de la communauté que nous voulions représenter.
Nous avons également testé nos idées en organisant des manifestations. Nous affichions nos revendications sur des affiches et nous pouvions savoir instantanément, par les réactions des gens, si ces revendications les touchaient. Nous recevions d'excellentes critiques sur la formulation et les recommandations de nos demandes, que nous avons ensuite incorporées dans la lettre ouverte.
3. Penser à long terme, agir à court terme.
Celine et moi avons apporté à l'Écosystème nos nombreuses années d'expérience combinée en matière d'organisation. L'une des principales choses dont nous avons longuement discuté au cours de l'hiver était notre stratégie à long terme. Nous savions que la justice climatique serait la pierre angulaire de notre coalition, mais nous savions aussi qu'il serait difficile de maintenir un effort de plaidoyer. Nous avons passé beaucoup de temps avec notre principal groupe d'organisation à définir une mission et des valeurs qui guideraient notre travail, quelles que soient les questions sur lesquelles nous nous pencherions à l'avenir. Cela nous a aidés à construire une culture d'équipe forte et nous a donné une direction à suivre.
Cependant, nous avons également appris à quel point il était important d'avoir des objectifs à court terme à atteindre. Lorsque nous recrutions, il était très utile de pouvoir dire aux étudiant·e·s que nous organisions un rallye, car il s'agissait d'une campagne tangible sur laquelle il·elle·s pouvaient travailler. Par ailleurs, nous informions régulièrement notre groupe des petites victoires que nous avions remportées, comme l'obtention de subventions ou l'arrivée d'un·e nouvel·le allié·e au sein de la communauté, afin de remonter le moral des troupes et de maintenir notre motivation.
4. Croyez en la valeur intrinsèque du travail.
Dans le travail d'organisation, il est facile de se perdre dans les tâches fastidieuses. Une grande partie du travail d'organisation n'est ni amusante ni excitante : il s'agit en grande partie de répondre à des courriels, de faire des courses et d'avoir des conversations. Cependant, j'ai fini par réaliser à quel point ces tâches étaient importantes pour la mise en place d'une infrastructure interne solide en vue d'un travail tourné vers le public. Sans les courriels, nous n'aurions pas pu obtenir le soutien de la communauté ou des informations vitales pour notre groupe d'organisation. Sans les courses, nous n'aurions pas eu de matériel pour notre construction artistique ou le rassemblement. Sans les conversations, la lettre ouverte et l'ensemble de l'Écosystème n'auraient pas été possibles.
Tout le travail que nous consacrons à nos efforts de plaidoyer a une valeur intrinsèque, même s'il ne débouche pas sur une victoire immédiate. Il est important d'y consacrer du temps, car c'est ce qui permet aux gens de s'épanouir et au mouvement d'avancer, un pas après l'autre.
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Pour l'instant, notre groupe prend une pause bien méritée. Les sujets de travail ne manquent pas et je suis impatiente de voir où l'Écosystème de la justice climatique de l'Université de Waterloo va s'engager.
Michelle Angkasa (elle/iel) est une étudiante en commerce et environnement à l'Université de Waterloo. Elle est une ardente militante pour la défense de l'engagement des jeunes et de la justice climatique. Elle s'intéresse particulièrement à l'autonomisation et à la mobilisation des communautés pour faire pression en faveur de la justice environnementale, sociale et économique. Grâce à son travail sur le campus, dans des organisations à but non lucratif et à divers niveaux du gouvernement, elle cherche à faire passer les personnes et la planète avant les profits. Michelle croit fermement que nous devons et pouvons nous unir pour créer une force commune dans le but de créer un avenir plus durable et équitable.